5 Décembre 2016
Un récent épisode d’atteinte à ma liberté d’expression d’avocat, doublé d’une tentative d’intimidation du Parquet m’a passablement agacé.
Mais voilà une bonne occasion de faire un point sur la liberté de l’expression d’avocat et sur ce qu’elle pourrait tendre à devenir si l’on venait à baisser la garde.
Voici l’histoire : deux de mes clients font l’objet d’une convocation selon la procédure de plaider coupable ou CRPC (pour Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité ; eh oui, à chaque fois qu’on veut jouer les américain chez nous, ca se transforme en cheap…).
Rappelons le principe de la procédure de plaider coupable : pour éviter une procédure classique avec audience de plaidoiries devant le Tribunal correctionnel, dans les dossiers où les prévenus reconnaissent leur responsabilité, le Procureur de la République propose directement une peine. Soit le prévenu l’accepte et elle fait l’objet d’une homologation par un juge du siège, soit il la refuse et le dossier est remis dans le circuit classique.
Ici, on propose à mes clients des peines d’emprisonnement ferme relativement modestes mais qui me paraissent trop élevées tout de même, je demande donc à mon collaborateur qui les assiste de les refuser.
Arrive donc l’audience devant le Tribunal correctionnel, cette fois je suis présent personnellement et je plaide.
Le Procureur de la République, au lendemain du scandale sur la lâcheté des magistrats, se lance dans un réquisitoire complètement décalé, mu soit par une volonté farouche de montrer à tout le monde que lui n’est pas un lâche, soit pour impressionner la cinquantaine de gamins d’un groupe scolaire présent à l’audience… Il finit par réclamer des peines d’emprisonnement ferme sans commune mesure avec ce qui est habituellement prononcé pour ces affaires de fourniture de quelques grammes de cannabis au parloir de la maison d’arrêt, de l’ordre 6 et 9 mois (le dernier client que j’aie assisté pour un tel dossier avait écopé de … 7 jours d’emprisonnement).
Je m’énerve, dénonce à la fois ces réquisitions, à la fois le caractère insupportable du delta entre la proposition initiale – dont je ne sais que de quel ordre elle était mais guère plus puisque je n’étais pas présent – et la nouvelle « proposition » qui doit être deux ou trois fois plus sévère.
Les juges, courageusement, coupent la poire en deux et je repars vers d’autres affaires au moins aussi palpitantes.
J’ai oublié cette histoire depuis pas mal de temps déjà lorsque je reçois un courrier de mon Bâtonnier me demandant des explications sur une missive qu’il a reçue du Procureur de la République me concernant.
Ce dernier vise l’article 495-14 du Code de procédure pénale qui prévoit à son deuxième alinéa : « Lorsque la personne n'a pas accepté la ou les peines proposées ou lorsque le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui n'a pas homologué la proposition du procureur de la République, le procès-verbal ne peut être transmis à la juridiction d'instruction ou de jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. » Il rappelle que j’ai mentionné à plusieurs reprises dans ma plaidoirie la proposition de peine faite par le Ministère Public. Il demande à mon Bâtonnier de me recadrer, ou quelque chose dans ce goût-là.
Juridiquement, son analyse me semble parfaitement erronée.
Cet article indique d’abord que les personnes concernées par l’interdiction de faire état des déclarations faites au cours de la procédure de CRPC sont le Ministère Public et les parties. Il me semble difficile de soutenir que je puisse faire partie, en tant qu’avocat, de l’une ou l’autre catégorie. Le Procureur de la République souhaiterait sûrement me voir un jour dans la deuxième catégorie, mais pas dans la première ! Première erreur.
Ensuite, l’interdiction porte sur le fait de faire état de déclarations ou de documents. Il ne peut pas être soutenu que le Ministère Public fait des déclarations. Seules les parties font des déclarations. Quant aux documents remis, on ne voit guère à quoi il serait fait référence, mais si des documents sont remis, ce sont les documents déposés par la personne poursuivie pour leur défense. Enfin, les réquisitions n’entrent ni dans une catégorie ni dans l’autre.
Il n’existe donc, contrairement à ce qu’allègue le courrier qui se veut de « recadrage », aucune interdiction faite à l’avocat d’évoquer le quantum de peine proposé lors de la séance de CRPC.
La réalité est que ce texte a été mis en place pour éviter qu’après un refus de CRPC, il soit fait mention par le Procureur ou les parties (en réalité le Procureur ou la partie civile) devant le Tribunal correctionnel de déclarations ou documents incriminants qui auraient été évoquées lors de la CRPC. Ce texte est un texte protecteur de la défense. Ni plus, ni moins. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir le Code de procédure pénal à la bonne page pour découvrir la seule jurisprudence notable le concernant, qui ne dit rien d’autre que cela (jugement annulé car la Cour s’était fondée sur les déclarations du prévenu en CRPC reconnaissant sa responsabilité).
Fin de l’épisode juridique.
Le plus inquiétant dans tout cela, ce n’est pas la controverse juridique, c’est ce qui se cache derrière.
Le plus inquiétant, c’est qu’un Procureur de la République saute sur la première occasion – bien artificielle pour le coup – de saisir un bâtonnier pour lui demander de « recadrer » un avocat.
Parce que la vérité, c’est que le Procureur présent à l’audience, qui a trouvé que la défense l’avait un peu secoué (cf. l’article de la NR 86 sur l’audience) a utilisé un prétexte pseudo juridique pour se plaindre d’une verve qu’il a dû juger excessive.
La vérité, c’est qu’il n’avait rien à me reprocher. J’ai défendu mes clients avec mes tripes, avec mon cœur, mais évidemment avec courtoisie et délicatesse.
Chacun sait que s’il en était allé différemment, c’est à raison d’une telle indélicatesse ou discourtoisie que l’on aurait sollicité un recadrage, voire plus.
Non, il n’y avait rien me reprocher ; je n’ai fait que mon boulot.
Cet épiphénomène démontre à nouveau, s’il était besoin, que lorsque j’écris Que reste-t-il de ma liberté d’expression, je ne suis ni dans la paranoïa, ni dans un pessimisme de mauvais aloi.
Les attaques contre les avocats, en particulier contre les pénalistes, viennent de partout, de plus en plus nombreuses.
Il est inadmissible qu’un Procureur de la République se permette d’intervenir dans ce que doit être l’expression de la défense par un avocat.
Un Procureur, ca poursuit les infractions pénales. Si un avocat en commet une, qu’il intervienne.
Mais qu’il imagine pouvoir influer sur la défense est une atteinte intolérable à ce qu’est notre métier.
Je n’accepte rien de cet ordre venant de personne, pas même du Procureur de la République.
J’exerce mon boulot avec dignité, probité, conscience, humanité.
Pas avec déférence, platitudes ou ronds de jambes à l’égard du Parquet.
Et tant qu’il me sera donné de plaider sans que la loi m’oblige à faire relire ou censurer mes plaidoiries par le Procureur de la République (comme il est procédé avec les jeunes parquetiers dans des affaires dites sensibles), je continuerai de le faire, par dessus tout, en toute indépendance.