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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

L’opportunité des poursuites ou la loterie judiciaire

Je plaidais il y a peu devant la Cour d’Assises de la Vienne, en compagnie de mon amie Patricia COUTAND, avocate à POITIERS, pour un homme à qui l’on reprochait d’avoir tenté d’assassiner sa compagne.

Les faits étaient relativement simples, et je choisis de les simplifier encore : Monsieur B., alors qu’il pensait construire une relation durable et solide avec une femme parfaite, ne s’apercevait pas qu’un certain nombre de ses travers avaient fini par agacer celle-ci, qui finissait par le quitter.

Ne supportant pas cette rupture qui le renvoyait à ses échecs successifs, il se rendait chez sa future victime, armé d’un couteau de cuisine et lui portait un coup au thorax en criant « je vais te buter ».

La victime, touchée mais pas inconsciente, se relevait et quittait les lieu pour rejoindre une maison voisine à 200 mètres, d’où elle appelait gendarmes et pompiers. Elle sortait de l’épreuve blessée mais sans séquelles physiques (bien entendu il en allait différemment sur le plan psychologique, l’agression ayant été particulièrement violente et soudaine, à son domicile et de la part d’une personne de confiance).

Monsieur B., après 3 ans et demi d’instruction, était condamné pour tentative d’assassinat à une peine de 10 années de réclusion criminelle.

Nous avions plaidé la requalification en violences avec arme, estimant que la volonté de tuer n’était pas établie dans ce dossier, mais sans succès.

Un peu abasourdi à mon retour au cabinet, je tentai de comprendre ce qui avait dérapé à ce point. Je compulsai mes archives et pour la seule année 2014, retrouvai 3 cas qui me semblent comparables, mais dont le dénouement a été fondamentalement différent.

  • Monsieur M. entretenait une relation adultère avec la mère d’un de ses amis. Quand celui-ci l’apprit, ivre de rage, il fonça chez le premier et l’attendit, couteau à la main, une bonne partie de la nuit devant son immeuble, avant de lui sauter dessus à première occasion. Il lui porta deux coup de couteau dans la région du cœur en hurlant « j’vais te tuer », occasionnant un handicap fonctionnel à une main (qualifiable de mutilation permanente en droit, ce qui entraîne nécessairement une qualification criminelle). Le Parquet renvoya ce dossier devant une correctionnelle à juge unique pour violences avec arme sans ITT (sic). Après que j’eus plaidé et obtenu l’incompétence au profit d’un juge d’instruction, une information pour tentative de meurtre fut ouverte, mais Parquet et Juge conclurent à des violences avec arme et ITT supérieure à 8 jours… L’auteur de l’infraction ne purgea pas une journée de détention.
  • Monsieur T. connaissait un différend depuis longtemps avec des voyous notoires. Il les croisa un soir en boite de nuit et lorsque la bagarre éclata, il se défendit à coups de couteau. Monsieur T. blessa trois personnes, dont une gravement. Des coups portés à la tête, aux jambes, aux bras. Le Parquet décida d’ouvrir une instruction pour violences avec arme et ITT supérieure à 8 jours, M. T. fut renvoyé devant un tribunal correctionnel après avoir purgé quelques mois de détention provisoire.
  • Monsieur D., agriculteur en très rase campagne, faisait ses comptes de bon matin sur la table de la cuisine. La porte s’ouvrit, c’était son voisin qui se tenait sur le seuil, un fusil à la main et qui hurla « j’vas t’tuer » (notez que je retranscris avec exactitude, y compris orthographique, les propos de l’agresseur ; ne manque que l’accent, difficile à reproduire à l’écrit…). Monsieur D. eut le réflexe de se jeter sur son voisin et de tenter de le désarmer. Un coup partit, Monsieur D. ne fut pas touché, la balle à sanglier crachée par le fusil l’ayant évité de peu. Son abdomen fut tout de même brûlé par les gaz émis à l’expulsion du projectile sur une surface assez importante, témoignant de ce que le pire avait été évité de très peu. Ce différend entre agriculteurs concurrents, pour le Parquet, devait se régler devant une correctionnelle siégeant à juge unique. L’auteur du coup de feu fut donc condamné à une peine de 3 années d’emprisonnement entièrement assortie du sursis. Pas une journée de détention, donc.

Alors oui, quand je rentrai du procès de Monsieur B., condamné à 10 années de réclusion pour avoir porté un coup de couteau dont la blessure, d’après le médecin légiste, s’est refermée et a cicatrisé en quelque jours, je m’interrogeais sur ce qui n’avait pas fonctionné.

Et si le Parquet, comme dans tant de cas comparables, avait décidé de saisir le Tribunal correctionnel, même en comparution immédiate ?

Toutes les décisions que je cite ont fait l’objet de publications dans la presse, elles sont facilement consultables par Monsieur B. ou sa famille ; Dois-je lui expliquer qu’à la loterie de l’opportunité des poursuites, il a simplement tiré le mauvais numéro ?

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