Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Oralité des débats en cour d’assises : reste-t-il de la place pour l’expression de l’accusé et de sa défense ?

Temps de lecture : environ 2 minutes

Un énième procès devant la Cour d’assises me suggère, en réalité m’impose ces observations.

Je suis au deuxième jour d’une affaire prévue pour en occuper trois, les débats sont presque clos et j’écoute attentivement les parties civiles, proches de la victime décédée par homicide.

Des victimes dignes, éduquées, qui sont à l’aise dans l’expression, claires et compréhensibles. Une sincère émotion émane du discours, je me fais plusieurs fois la réflexion qu’un tel est très poignant, que l’on est parfois même saisi à la gorge.

Et puis, malgré tout je finis par regarder ma montre. Près de quatre heures se sont écoulées. Quand les gens parlent bien, quand ils parlent vrai, le temps passe vite.

Je regarde mes notes, je constate que mon client, depuis le début de ces deux jours, a été entendu 25 minutes. En une fois.

C’est au vrai devenu la norme. Dans la plupart des procès, l’essentiel du temps de parole est consacré à l’écoute des victimes ou familles de victimes.

Et de leurs avocats. Parce que quitte à sortir le chronomètre, j’essaye de comptabiliser à peu près les temps de parole des avocats. Pour ma part, j’ai ouvert la bouche deux fois. Deux contre-interrogatoires, le premier auprès de l’un des quatre enquêteurs. Le second auprès d’une des parties civiles. 20 minutes maximum.

Du côté de la partie civile, chacun des avocats de chacune des parties civiles a tenu à interroger chacun des témoins ayant défilé à la barre. Pour plusieurs heures au total.

Dans une affaire qui ne faisait aucune difficulté, où les faits étaient reconnus.

La place de la partie civile dans le procès pénal, criminel en particulier, qui posait question à un moment donné, est devenu absolument envahissante aujourd’hui.

Et évidemment, si je peux ici écrire tout ce que je veux, il est bien évident que l’on ne peut pas dire tout ce que l’on souhaite lors d’un procès criminel.

On subit. Il n’y a pas d’autre manière de l’exprimer. La Défense subit l’envahissement par les parties civiles des débats devant la Cour d’assises, sans possibilité de rééquilibrer les choses.

On pourrait m’objecter que la parole de l’accusé est libre et qu’il peut s’exprimer autant qu’il le souhaite. D’abord c’est faux. Ensuite l’idée n’est pas d’occuper le terrain, de parler pour ne rien dire. De poser des questions à tout le monde pour le plaisir d’avoir autant la parole que les parties civiles l’ont prise.

Ce déséquilibre du procès criminel, c’est une vraie difficulté.

Cela part de l’idée populiste qui s’exprime souvent dans ces affaires « on ne parle que de l’accusé, sa personnalité, sa vie, ses problèmes, ses failles… et les victimes alors ? ».

Les victimes, aujourd’hui, occupent tout l’espace. L’espace médiatique, le temps d’oralité du procès, le temps d’expression et de plaidoirie par les avocats et même l’espace dévolu à l’accusation. Il est devenu rare de participer à un procès criminel dans lequel je n’entends pas « Nous, on a pris perpétuité, lui il va sortir », ou « je veux qu’il crève en prison ».

J’ai aujourd’hui de nombreuses années de recul, une expérience  qui m’autorise à émettre un avis sur l’évolution du procès criminel. Quand j’ai commencé, les choses étaient bien différentes. Les parties civiles trouvaient à s’exprimer, souvent rassemblées sous la même bannière, une famille ayant pris un ou deux avocats pour l’assister ou la représenter. Aujourd’hui, chaque membre de la famille ou presque veut son avocat, son moment de déposition, expliquer son point de vue, proposer sa peine idéale…

Le procès était organisé d’abord pour essayer de comprendre le phénomène criminel, les raisons pour lesquelles un crime avait été commis, par qui. Et puis pour décider d’une sanction, après que le représentant de la société ait exposé son avis et sollicité une peine adaptée.

La présence de la partie civile est essentielle au procès criminel, je ne dirai pas le contraire alors que depuis quelques années je plaide de plus en plus souvent à leurs côtés.

Mais dans ces dossiers-là, mon temps d’intervention est très nettement inférieur à celui que je consacre à une défense criminelle.

Je ne pense pas que le procès en cours d’assises soit le procès des parties civiles, en ce sens qu’il doive être confisqué sur le plan de l’oralité par des temps d’intervention excessifs, déséquilibrés.

Je ne pense pas non plus qu’il faille appliquer le sacro-saint principe d’égalitarisme qui corrompt beaucoup de notre 21ème siècle, en sorte que le temps de parole des uns et des autres soit strictement identique.

Ce que je pense, c’est que le procès criminel est d’abord le procès de celui qu’on accuse, ensuite l’affaire de la société toute entière qui attend une décision de Justice, puis enfin et dans cet ordre, celui au cours duquel les intérêts privés qui ont été lésés doivent pouvoir trouver une voie d’expression. Mesurée, équilibrée.

Ce n’est pas la loi qui impose le déséquilibre que je fustige ici, c’est au premier chef la façon dont les présidences de Cour d’assises ont évolué, tenant sans doute trop largement compte de l’expression du sentiment populaire, très largement véhiculé par les réseaux sociaux contre lesquels la Justice devrait, pour le mieux, être un rempart, un abri sous lequel la tempête du populisme ne soufflerait pas ses rances bourrasques.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article