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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Plaidoyer contre l’hypocrisie du bénéficie du doute

Temps de lecture : 5 minutes environ

C’est en démontant le moral d’une amie avocate qui me demandait mon avis sur une relaxe qu’elle entendait plaider qu’a germé l’idée de ce billet à type de coup de gueule.

Elle pensait faire relaxer son client au motif que l’enquête menée contre lui était truffée de lacunes et surtout qu’aucun des actes qui auraient permis de l’innocenter n’avait été effectué.

Bonne idée a priori, surtout pour qui se réfère aux bons conseils dispensés par l’article 304 du Code de procédure pénale aux jurés tirés au sort pour juger leurs concitoyens accusés en cour d’assises :

« Vous jurez et promettez (…)  de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter (…) ».

L’idée que le doute doit bénéficier à toute personne accusée devant une juridiction pénale, au-delà de la cour d’assises, est une extrapolation du principe de présomption d’innocence, qui mériterait à lui seul quelques billets – d’humeur évidemment – .

Quand on pratique le droit pénal depuis des années, devant de très nombreuses juridictions françaises et encore plus de magistrats, on comprend vite que le bénéfice du doute, ce n’est souvent qu’une idée.

Le doute ne bénéficie quasiment jamais à quelque accusé que ce soit. On nous objecte régulièrement que ce n’est d’ailleurs pas le simple doute qui peut entraîner la mise hors de cause d’un accusé, mais le doute raisonnable, manière souvent dérisoire pour nos magistrats français d’emprunter aux américains cette notion, qui chez eux veut dire quelque chose puisqu’elle est le socle de l’appréciation de la preuve par le juge (contrairement au système français de l’intime conviction, que l’on pourrait assurément rebaptiser "l’appréciation magistrale de droit divin").

Le doute chez nous, qu’il soit raisonnable ou non, ne suffit que très rarement à éviter une condamnation.

Ce qu’il faut faire pour obtenir une relaxe ou un acquittement, ce n’est pas uniquement créer le doute, c’est bel et bien démontrer son innocence. L’impossibilité ou la quasi-impossibilité que l’accusé soit coupable. Et encore ai-je souvent vu des clients condamnés alors qu’il y avait objectivement moins de chances qu’ils pussent être coupables qu’innocents… mais au pile ou face judiciaire, il n’y a guère plus de chance de gagner qu’au loto.

Respecter le bénéfice du doute à l’accusé, ce serait accepter l’idée notamment que lorsqu’il manque des éléments d’enquête, en particulier des éléments propres à démontrer l’innocence de l’accusé, on ne peut pas condamner.

Je donne un exemple. Un client impliqué par 7 policiers qui disent l’avoir reconnu après une course-poursuite. Lors de l’accident ayant mis un terme à cette course-poursuite, le conducteur a heurté le pare-brise. On y trouve une marque d’impact de la taille d’un front, constellé de traces de sang.

Croyez-le ou non, l’enquête n’a pas exploité ces traces en les soumettant à une analyse génétique. Ce qui aurait permis de démontrer ipso facto qui conduisait. Et pourquoi donc n’avoir pas fait cet acte d’enquête que n’importe quel citoyen aurait prescrit si on lui avait donné les commandes de l’enquête ? Parce qu’en cas d’identification d’un profil génétique différent de celui de mon client « reconnu » par 7 policiers et gendarmes, il aurait été démontré qu’ils s’étaient trompés (ou qu’il s’étaient entendus sur l’identité de l’individu à reconnaître).

Quoi qu’il en soit, dans ces conditions, aucun élément scientifique ne venant conforter les témoignages des policiers, et pire encore dans une situation où l’enquête n’est pas poussée sur des éléments propres à innocenter, il me semble qu’un doute suffisant existe, qui devrait conduire à la relaxe à son bénéfice. 4 ans fermes, mandat de dépôt à la barre.

Devant une cour d’assises il y a peu. Deux hypothèses s’offrent à la cour : soit le crime a eu lieu avant 21:00 et mon client peut être concerné, soit il a eu lieu après et il ne peut être qu’innocent car de très nombreuses personnes l’ont vu à plusieurs kilomètres. Aucun élément objectif du dossier ne permet de démontrer à quelle heure a eu lieu le crime. Ce doute ne dérange en rien l’avocat général et la Cour. 20 ans de réclusions.

L’intérêt d’illustrer mon propos par ces deux anecdotes réside uniquement dans une mise en lumière factuelle de la manière dont le doute intervient dans certaines affaires. Je ne laisserai pas dire que je fais de deux anecdotes une généralité. Je pourrais écrire un bouquin de 100 pages d’anecdotes identiques, ce qui compte n’est pas la casuistique, mais la répétition de la méthode, appliquée aux différents cas d’espèces.

Et toujours, cette méthode confine à exiger, et nos juges appellent cela le doute raisonnable, la démonstration complète de l’innocence.

Dans mon précédent exemple, on m’a reproché de ne pas démontrer que l’heure du crime était postérieure à 21 :00 !

J’ai encore souvenir d’une affaire de viol devant la Cour d’assises de la Vienne, il y a des années. Au terme d’une plaidoirie d’acquittement de plus d’une heure et demie, lors de laquelle j’avais dû aborder une quinzaine de points litigieux, mon client écopa de 10 années de réclusion. Après délibéré, en discutant avec l’une des personnes y ayant participé (oui, l’hypocrisie ne fait pas son lit que dans le doute, le secret du délibéré lui aussi est une vaste farce, je ne compte plus les témoignages de jurés, anonymes, après délibéré, qui m’ont expliqué comment la décision avait été prise – souvent d’une manière qui les avait choqués suffisamment pour braver ledit secret – ) je fus ébahi d’entendre « vous avez réussi à créer le doute sur la quinzaine de points évoqués, mais le seizième point, vous n’en avez pas parlé, c’est ce qui a manqué pour que la cour acquitte… ».

En réalité, souvent le doute est perçu par nos juridictions comme le voile de suspicion qui serait jeté sur leur appréciation du dossier, qui pourrait ne pas être infaillible, ne pas être parfaite. Souvent également comme une manière de remettre en question la qualité des enquêtes.

Si bien que du doute ou de l’institution, s’il faut en protéger un, la décision se fait le plus souvent dans le sens que vous imaginez.

Et pourtant l’on continue de jouer hypocritement la danse du doute auprès des étudiants en droit comme du public ignorant des réalités pratiques judiciaires.

Enfin, parce qu’il faut toujours finir sur une note positive ou d’espoir, je précise qu’en appel, mon client à qui il manquait un seizième de doute a été acquitté ;-)

 

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