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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Prescription pénale : vers l’imprescriptibilité ?

Pour ce 100ème billet du blog, quoi de plus normal que de faire un article en lien avec le temps qui passe ?

J’ai donc choisi cette réflexion sur la prescription en matière pénale, à l’aune d’une récente évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation.

D'autant plus qu'au moment où je rédige cet article, l'affaire qui a donné lieu à cette jurisprudence est en train d'être jugée par la Cour d'Assises de DOUAI.

Notre système juridique, à travers l’article 7 alinéa 1er du code de procédure pénale, prévoit qu'un crime ne peut pas faire l’objet de poursuite plus de dix ans après qu’il a été commis : on dit alors que l’action publique est prescrite.

La prescription est commandée par les impératifs de délai raisonnable, de loyauté du procès et de sécurité juridique. Elle vient sanctionner l’inaction des autorités publiques ou des victimes.

En tout cas, ce sont les justifications classiques pour tenter d’expliquer à une opinion publique qui ne supporte plus ce qu’elle considère comme une impunité injustifiée.

Récemment, l’appareil judiciaire a fait preuve d’une écoute particulière de cette vox populi en rendant une décision qui, si elle est sans doute satisfaisante pour l’opinion publique, constitue une torsion inacceptable de la règle de droit. Qui plus est par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, la Chambre plénière de la Cour de cassation.

L’affaire a fait grand bruit : une mère est soupçonnée d’avoir tué huit de ses enfants à leur naissance. Mais il a fallu plus de dix ans pour que la mort des nouveau-nés soit découverte : les grossesses successives étaient passées inaperçues compte tenu de l’état d’obésité de la mère, aucune de ces naissances n’avait été déclarée à l’état civil et les cadavres étaient restés cachés.

A l’évidence, point n’est besoin d’être fin juriste pour comprendre qu’une application stricte de la loi précitée devait conduire à constater la prescription de l’action publique.

Insupportable pour « l’ordre public ».

C’est ainsi que la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a rendu le 17 novembre 2014 une décision de principe au terme de laquelle « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ».

Ne cherchez pas dans le code de procédure pénale, ni dans aucun texte législatif une telle cause de suspension de la prescription, il n’en existe pas.

La Cour de cassation fait ici ni plus ni moins qu’œuvre législative, au mépris de la séparation des pouvoirs, en créant ex nihilo une nouvelle cause de suspension de la prescription.

Par pure opportunisme et utilitarisme.

On ne peut pas saluer cette décision.

D’autant qu’elle est d’une portée générale par sa rédaction.

Derrière le terme « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », on peut mettre tout et n’importe quoi. A l’envi.

Et ainsi absolument révolutionner le système de prescription que l’on connaissait jusqu’alors, au point que beaucoup de crimes pourraient devenir imprescriptibles…

Notamment tous les crimes sexuels, qui représentent la plupart des dossiers criminels présentés en cours d’assises.

Aujourd’hui, un très grand nombre de ces dossiers tiennent, concernant la caractérisation de la contrainte, à la sacrosainte « emprise » décrite par les psychologues et psychiatres, sur laquelle j’ai déjà écrit quelques billets.

A quand la suspension de la prescription au motif que la victime, sous emprise, était dans une situation telle que cela constituait psychologiquement un « obstacle insurmontable » à la révélation des faits, donc à l’exercice de poursuites ?

Quand la décision de Justice vient à s’expliquer par des moyens qui heurtent la règle de droit de plein fouet pour complaire à un électorat un brin populiste, la démocratie tremble sur ses bases.

Aujourd’hui, on est habitué à ce que le législateur sur-réagisse à des faits divers par des lois qui ont pour but de satisfaire son électorat, il y a donc un intérêt bien compris à la manœuvre.

On l'est moins s’agissant des magistrats chargés d’appliquer la loi en toute indépendance et on peut s’étonner d’une telle adaptation de la règle aux desiderata de l’opinion.

Alors, à qui profite (l’imprescriptibilité du) crime ?...

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