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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Ecoutes téléphoniques en prison, la preuve à la limite de la déloyauté

Un récent dossier m’a incliné à ce billet, dans lequel le juge d’instruction, franchement à court d’éléments à charge, a utilisé cette méthode de recueil de preuves. Que je trouve assez agaçant et pour tout dire à la limite de la déloyauté pure en simple.

Une affaire de soi-disant proxénétisme où l’on reproche à mon client d’avoir tiré profit de la prostitution de son épouse et de sa maîtresse.

Seulement, lui nie absolument toute action de proxénétisme ; sa maîtresse était une prostituée et ne l’a ni attendu pour le devenir et le rester, ni convié au partage des gains en une quelconque manière ; quant à son épouse, s’il peut apparaître qu’elle a pu avoir recours à la prostitution occasionnellement, il dit l’avoir ignoré. Je ne vois pas que son statut de mari postule une nécessaire connaissance des extras de Madame.

Les investigations classiques n’ont rien donné ou si peu ; pas de témoins directs, des investigations patrimoniales qui débouchent sur un constat de quasi indigence de la famille, à l’exception de quelques babioles inutiles mais habituelles (iphone, TV plasma etc.).

Le mis en examen ne coopère que très peu à l’instruction, ce qui peut se comprendre dans ces conditions.

Qu’à cela ne tienne, on s’imagine alors le faire coopérer à l’insu de son plein gré.

En écoutant le téléphone portable qu’il n’a pas manqué de récupérer en détention, probablement dès les premiers jours de son placement en détention-pour-éviter-toute-concertation-avec-les-coauteurs-ou-complices.

Et avec une méthode peu orthodoxe ; une instruction est ouverte dans un cabinet lambda, sous des prétextes procéduraux relativement artificiels (instruction contre X pour des faits balayant un spectre assez large, de l’évasion à l’entrée d’objets illicites en détention, en passant par le trafic interne). De la sorte, toute la prison peut être mise sur écoute. Et on partage ensuite les infos avec les collègues qui, par hasard, pourraient en avoir un quelconque besoin.

Pourquoi considéré-je que le procédé est aussi agaçant que déloyal ?

  • D’abord il s’agit clairement d’une manière de recueillir des éléments de réponse en dehors des auditions par le Juge d’instruction, seul habilité par la loi à entendre le mis en examen. Or, ces écoutes ne sont pas réalisées par le juge lui-même mais par un enquêteur, on peut donc considérer que c’est l’enquêteur qui recueille ces éléments de réponse, ce qui est prohibé par la loi (raisonnement qui n’est pas suivi par la Cour de cassation mais qui se tient à mon sens quand même).
  • Ensuite, on est aux frontières de la provocation à commettre une infraction, au moins par abstention, puisque le téléphone est interdit en prison. Or, le Juge qui découvre que le détenu en possède un ne fait rien pour l’empêcher, pire, il en tire profit (un quasi recel de détention d’objet interdit en détention !).
  • Et puis de quoi parle-t-on au téléphone quand on est en prison ? Clairement pas des dossiers, ou de façon détournée car on connait les risques de ces écoutes dont les Juges d’instructions sont devenus friands. Donc, de banalités souvent assez consternantes, de la famille, de l’intimité parfois, des avocats et des juges beaucoup aussi. On trouve plus dans ces écoutes d’éléments de vie privée qu’autre chose et le tri n’est pas souvent fait dans les transcriptions, souvent à dessein, par pur voyeurisme.
  • A propos de voyeurisme, le sujet préféré des enquêteurs parmi ceux évoqués ci-dessus demeure tout de même les avocats. Avec en tête du hit-parade de leurs préoccupations malsaines les honoraires sur lesquels ils fantasment presque autant que les avocats entre eux… J’ai ainsi pu, dans le dossier évoqué plus haut, m’apercevoir que l’essentiel des écoutes répertoriées portaient sur l’éventuelle rémunération que je percevrais en cas de mise en liberté de mon client, que l’enquêteur s’est empressée de qualifier de « rémunération complémentaire en espèce », là où cette modalité de règlement n’est jamais apparue dans l’écoute elle-même…Je me suis d’ailleurs ouvert de cette curiosité auprès du Juge d’instruction qui m’a assuré que ces écoutes et leurs transcriptions sont parfaitement justifiées dans un dossier de proxénétisme pour établir la consistance du patrimoine du mis en examen… J’en ris encore.
  • Après le voyeurisme, le cynisme ; une fois ces écoutes « limites » réalisées, le Juge redécouvre que l’utilisation de ce téléphone portable, qu’il a encouragée pendant des mois, est interdite et s’offusque, très probablement persuadé de défendre l’équilibre de la Justice en restaurant le bon ordre : il envoie les gendarmes dans la cellule du contrevenant et fait s’abattre sur lui la pluie de conséquences idoines. Poursuites disciplinaires, 10 ou 15 jours de mitard, retrait de crédit de réduction de peines et impact sur les remises de peine supplémentaires à venir, suspension de permis de visite, d’Unités de Vie Familiale, éventuelles poursuites pénales…

Au rythme où vont les choses, il n’y aura bientôt plus aucune limite à ces pouvoirs d’écouter tout partout. On autorise déjà la sonorisation des parloirs (lire l’article de Maître Yassine BOUZROU sur le sujet, http://www.bouzrou-associes.com/2015/06/18/la-sonorisation-des-lieux-de-privation-de-liberte-une-preuve-loyale/).

Bientôt, ce sera la sonorisation des parloirs avocats, l’écoute de toutes les conversations téléphoniques entre clients et avocats, la sonorisation des cabinets, pourquoi pas…

Dans une société où la défiance à l’égard de notre profession est totale, jusqu’à faire l’objet de textes législatifs (cf. l’obligation généralisée de la convention d’honoraires dans la dernière loi Macron), on peut s’attendre à toutes les extrémités.

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