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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Motivation de la détention provisoire, la grande illusion – 2ème partie –

Où en étais-je, déjà ?...

Ah, oui, le cynisme des article 137 et 144 du Code de procédure pénale.

On a pu voir que la première exigence de motivation d’une détention provisoire, qui consiste à imposer au juge d’expliquer en quoi le recours à un contrôle judiciaire est impossible, est battue en brèche par la simple insertion d’une clause de style dans la décision de Justice.

Quid du deuxième axiome de motivation, qui consiste à imposer au juge d’identifier des conditions de recours spécifiques à la détention provisoire ?

L’article 144 du Code de procédure pénale énonce :

« La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ;

2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;

4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;

6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle. »

Ces conditions ne sont bien entendu pas cumulatives. Il suffit d’en remplir une pour que la détention provisoire s’en trouve justifiée.

Or, il n’existe pas de contrôle réel sur l’existence de ces conditions, si bien que même sans avoir ouvert le dossier (ce qui manifestement arrive de temps en temps lors d’une présentation chez le Juge des libertés et de la détention…), le JLD peut remplir sa décision comme on cocherait les cases d’un QCM. Sans compter que certaines de ces conditions sont des fourre-tout.

Reprenons la liste ensemble :

1° La conservation des preuves ou indices matériel peut être évoquée en toute circonstance, alors que d’expérience, on sait que la plupart des dossiers d’instruction se présenteront au règlement du dossier dans le même état qu’au jour de son ouverture.

2° On invoque régulièrement la pression sur les témoins dans des dossiers où il n’y en a même pas… Surtout, nul besoin d'être en liberté pour exercer une pression efficace quand on le souhaite vraiment.

3° La concertation frauduleuse avec les complices est savoureuse à une époque où avant même de se procurer une brosse à dent, tout détenu dégote un téléphone portable… C’est sans doute le motif de détention provisoire qui cadre le plus avec l’hypocrisie générale du système.

4° Pour la protection de la personne mise en examen, souvent contre elle même, je reprendrai un client de la semaine dernière : « Madame le Juge, si vous me remettez en liberté aujourd’hui, vous croyez vraiment que la première chose à laquelle je vais penser sera de me foutre en l’air ?... »

5° S’agissant des garanties de représentation en Justice, je fais régulièrement observer qu’une cavale coûte cher et que peu de délinquants peuvent l’assumer.

6° Dans le genre fourre-tout, le risque de renouvellement de l’infraction est champion. Qui peut prédire à l’avance qu’un mis en examen réitérera ou non une ou des infractions ? Je ne m’y risque jamais, même pas dans le sens le plus favorable à mes clients, car on ne peut simplement pas prédire l’avenir, même pas en regardant à travers…un casier judiciaire.

7° Le trouble à l’ordre public justifierait un billet à lui seul, c’est la cinquième roue du carrosse dans 99% des cas. Pour le pourcent restant, nous sommes dans des dossiers où la détention provisoire est tellement évidente qu’on n’a pas besoin de recourir à cette condition pour la justifier.

Alors me direz-vous, dans mon système, il ne peut y avoir de justification au recours à la détention provisoire ?

Ce serait stupide de ma part de le penser et de l’écrire.

Ce qui me dérange, ce n’est pas l’existence de la détention provisoire, mais sa quasi automaticité dans un certain nombre de dossiers, la facilité avec laquelle on peut y recourir au regard de la gravité de ses conséquences et l’absence totale de contrôle par la Cour de cassation.

Dans beaucoup de cas où elle est justifiée, il n’y aurait même pas besoin de ces conditions artificielles créées par le législateur pour se donner bonne conscience et faire croire au citoyen que sa liberté est protégée – elle ne l’est pas, combien ai-je vu de citoyens sans histoire accusés d’agressions sexuelles ou de viols jetés en prison alors que rien ne prouvait leur culpabilité ? Y compris des clients qui ont été blanchis par la suite –

Dans beaucoup de cas, elle est utilisée à des fins étrangères à ce qui est prescrit par la loi :

  • Volonté de faire purger par anticipation une peine qu’on imagine très lourde
  • Volonté de faire comparaître la personne mise en examen détenue devant la juridiction de jugement – ce qui aggrave nettement son cas et la peine à venir… -
  • Volonté de faire purger l’intégralité de la peine avant le jugement (exemple d’un client roumain dont le juge pense qu’il ne le reverra jamais s’il le relâche et qui le garde donc tout à fait artificiellement sous mandat de dépôt criminel depuis 16 mois pour….3 colliers volés)
  • Volonté d’obtenir des aveux, la détention provisoire est alors utilisée comme moyen de pression sur le mis en examen

Dans tous ces cas, les soi-disant conditions restrictives énumérées plus haut ne constituent aucune garantie pour le justiciable, puisqu’elles servent d’appui légal à des décisions dont le but réel, lui, ne l’est pas franchement.

C’est la grande illusion de motivation des décisions relatives à la détention provisoire.

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