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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

L’affaire Jacqueline Sauvage : le choc de la normalité – 2ème partie – La libération conditionnelle

Décidemment, cette affaire Jacqueline Sauvage aura fait couler beaucoup d’encre. Y compris de ma plume ! Tellement que, ne parvenant pas à réduire le format de ce billet à une dimension raisonnable, je l’ai encore scindé.

Voici la deuxième partie, la troisième suivra très rapidement.

Nous en étions aux suites de la condamnation en appel, qui, devenant définitive, ouvrait à la condamnée la voie de l’aménagement de peine, par le truchement d’une demande de libération conditionnelle.

Acte II : une libération conditionnelle refusée comme il se doit

Chacun aura noté l’ellipse volontaire sur l’épisode de la grâce partielle accordée par le Président Hollande à Jacqueline Sauvage, car mes observations concernant les deux grâces présidentielles seront les mêmes, elle feront l’objet de l’acte III de ce billet.

Toujours est-il qu’à la suite de sa condamnation, Jacqueline Sauvage ayant bénéficié d’une grâce partielle s’est retrouvée en position de présenter une demande de libération conditionnelle, comme toute personne condamnée qui a purgé la moitié de sa peine, cette moitié se calculant sur la base de la peine prononcée, à laquelle on retranche l’ensemble des remises de peines obtenues.

D’abord un petit rappel juridique : toute personne condamnée bénéficie d’autorité, lorsque sa peine devient définitive, d’un crédit de réduction de peine (CRP) automatique, de 3 mois pour la première année et de deux mois pour les suivantes. Si l’on écope de 10 années de réclusion, en réalité, on retranche 21 mois de CRP à cette peine et l’on a à purger un peu plus de 8 ans.

A ces CRP, il faut ajouter l’examen des remises de peines supplémentaires (RPS) qui se fait pour chaque période de 12 mois de prison déjà purgée (notamment en détention provisoire) et qui peuvent être accordées à hauteur de 3 mois par an (en fonction du comportement de la personne pendant sa détention, cette fois, ce n’est plus un crédit, c’est une simple possibilité qui est soumise à une décision du Juge d’application des peines). Souvent, une personne condamnée en Cour d’Assises a déjà purgé trois années de détention provisoire ; si elle s’est bien comportée, elle peut donc obtenir 9 mois de RPS et ce sont donc 30 mois de remises de peine qu’il faut retrancher à la peine à purger. Il ne reste alors plus « que » 7 ans et demi à purger.

Et la moitié de la peine qu’il faut avoir purgée pour présenter une demande de libération conditionnelle se calcule sur cette base. L’on peut donc alors présenter une demande de libération conditionnelle au bout de 3 ans et 9 mois de détention.

Dans le cas Sauvage, la grâce partielle a donc permis de faire avancer la date de libération prévisible et, ce faisant, la date de mi-peine, si bien qu’elle put la présenter immédiatement après l’octroi de la grâce partielle.

Ce qui semble avoir échappé à certains, c’est que la suite de cette procédure de demande de libération conditionnelle a été, elle aussi, rigoureusement normale.

La grâce présidentielle n’avait pas pour but de garantir à Jacqueline Sauvage une libération conditionnelle, mais simplement de lui permettre d’être recevable à la présenter un peu plus tôt.

Le juge d’application des peines (JAP) saisi de cette demande disposait donc de toute marge de manœuvre pour apprécier celle-ci.

Et il la refusa. On sait pourquoi d’ailleurs, puisque la décision elle-même a été reproduite dans nombre de parutions médiatiques. Ce qui a été mis en avant, c’est la victimisation perpétuelle de la demanderesse, son incapacité à critiquer son geste.

Une motivation reprise pour l’essentiel par la Cour d’appel après que la condamnée a exercé cette voie de recours, non sans que ses avocates en aient profité au passage pour vilipender publiquement la décision du premier juge qui était pourtant parfaitement compréhensible.

Pour présenter des demandes d’aménagements de peine en nombre depuis des années, je sais que le positionnement du condamné par rapport aux faits est une question essentielle pour le JAP.

Ils estiment souvent que les garanties de réinsertion exigées pour l’octroi d’une libération conditionnelle passent aussi par la capacité du condamné à apprécier et mesurer sa responsabilité. Ils s’appuient notamment pour évaluer cela sur les expertises psychiatriques. Or, dans l’affaire Sauvage, ces expertises, dont de larges pans ont été rendus publics, seraient jugées mauvaises par n’importe quel avocat coutumier de ces procédures.

Par ailleurs, on sait également que les JAP sont très exigeants lorsque la première demande de libération conditionnelle intervient très tôt (je dirais même qu’il n’est pas rare que certains JAP posent presque comme un principe, même si ce n’est pas une exigence légale, que le demandeur ait effectué la moitié réelle de sa peine pour être sérieusement éligible à un tel aménagement ; dans le cas d’une peine de 10 ans, il faudrait alors avoir purgé 5 ans pleins, ces JAP posant ainsi le principe d’une période de sureté officieuse).

Il faut alors avoir un dossier en béton armée, tant en ce qui concerne le projet de réinsertion (hébergement, activité professionnelle ou formation) que les expertises, le discours du condamné sur ce qui l’a conduit en prison et pour finir le comportement en détention.

Faisons le bilan : Jacqueline Sauvage présente une demande de libération conditionnelle après avoir purgé moins d’un tiers de la peine prononcée par la Cour d’Assises. Son projet de réinsertion n’a pas fait couler beaucoup d’encre, concédons-lui qu’il était sans doute parfait.

Son expertise est catastrophique, pointant son positionnement de victime et soulignant une remise en cause sujette à caution. Evidemment, puisque c’était sa ligne de défense, c’est ce qu’elle a fait plaider devant le JAP, qui a donc pu mesurer personnellement son positionnement. Enfin, il a été rapporté – par voie de presse, restons prudents – que Jacqueline Sauvage avait été plus ou moins imbuvable pendant sa détention provisoire, ce qui n’aide pas.

En un mot comme en cent ; voilà un dossier d’aménagement de peine médiocre. Un « bâton merdeux » comme on dit dans le jargon.

Il n’y avait guère que les ignorants de la matière, les militant(e)s de tout poil… et les avocates de Jacqueline Sauvage pour penser le contraire et imaginer que cette demande pourrait prospérer.

Un mot, d’ailleurs, sur les avocates. J’ai déjà dit ce que je pensais de cette ligne de Défense que je juge inepte, contre-productive et même nocive. On a compris que dans ce dossier, le positionnement de la demanderesse sur sa responsabilité avait été déterminant. Pour ma part, je considère qu’il est de l’essence de notre métier d’avocat d’expliquer un certain nombre de choses à nos clients, y compris lorsque cela ne leur plait pas. Ici, il ne semblait pas hérétique d’expliquer à Madame Sauvage qu’on ne tue pas son mari de trois coups de fusil dans le dos sans exprimer un minimum de regrets.

Je comprends parfaitement que Jacqueline Sauvage, à qui l’on a rebattu les oreilles avec un discours victimisant, que l’on a volontiers utilisée comme icône, probablement à son corps défendant – au départ – ait fini par se convaincre qu’elle serait parfaite dans le rôle de la victime perpétuelle, de la pasionaria du féminisme qu’on a voulu faire d’elle. Mais les actes que l’on pose ont des conséquences. La stratégie est l’affaire des avocats, certes. Son acceptation relève de la responsabilité du seul client cependant. On choisit ses avocats, elle a choisi les siennes, a adhéré à leur mode de défense, il fallait ensuite assumer jusqu’au bout.

Encore une fois, c’est cette défense conjointe, des avocats et du client, qui a conduit à ces échecs judiciaires qui auraient pu être évités.

Un mot pour finir sur le JAP, mis en cause férocement et publiquement par les avocates de Jacqueline Sauvage pour une décision que je trouve pour ma part rigoureusement logique.

Notez bien que ce n’est pas la critique, fût-elle publique, qui me dérange, il faut que les avocats soient présents dans l’espace médiatique précisément pour exercer leur sens critique. C’est l’absence de pertinence de fond qui pose ici difficulté.

J’ai eu l’occasion de plaider pour une libération conditionnelle devant cette juge. J’ai pu apprécier le caractère exhaustif de son instruction d’audience, le temps qu’elle prend (assez inhabituel au vrai) pour laisser la parole au demandeur, voire pour discuter avec lui. Il se trouve que dans le dossier que je lui soumettais, je défendais un homme condamné pour une série de quatre viols avec arme à une peine de 12 années de réclusion et qui a toujours nié sa culpabilité. La question de son positionnement quant aux faits ayant motivé sa condamnation se posa donc, puisqu’elle était soulignée par les expertises. Les débats ont porté sur cet aspect des choses pendant des minutes qui m’ont paru interminables, à telle enseigne que je pensais que la décision serait un rejet, ce dont je m’étais ouvert à mon client.

Je fus donc surpris de recevoir une décision positive, motivée, expliquant que nonobstant le positionnement du demandeur, de réels efforts d’insertion avaient été faits, pendant les quasiment huit années de réclusion déjà purgées (et pas 3…), sans incidents en détention.

Je ne pense donc pas que l’affaire Sauvage a été confiée à une juge militante, insensible ou incompétente.

Je pense qu’elle a été traitée comme tout autre dossier identique et que le rejet de cette libération conditionnelle, confirmé en appel, n’a fait que répondre aux canons habituels de la matière.

D’ailleurs en parlant de canons… le coup de semonce du Président Hollande avec sa grâce partielle n’ayant pas suffi, il fut décidé d’une nouvelle salve, entre noël et le jour de l’an, mais cela est une autre histoire…

 

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M
En effet la "normalité" est choquante. La Peine est censée être individualisée, personnifiée. Un magistrat y compris un JAP n'est'il pas sensé se servir de la Loi et uniquement de la Loi. Le Législateur ayant abrogé la notion de peine plancher aucun magistrat ne devrait maintenir de par ses pouvoirs professionnels (qui émanent "du Peuple" en passant) cette décision politique. Il y a présentement un problème de constitutionnalité du Pouvoir !<br /> Le soignant que je suis ne voit aucun problème à ne pas avoir de remort à un homicide. Seuls les Justiciables du Petit Peuple devraient être perclus de culpabilité selon la Justice. Les Grands ( les Ministres, les Présidents... les régnants en somme) n'ont pas cette obligation moralisante. Cf le cas Christine LAGARDE.<br /> Le soignant que je suis vois la misère culturelle, affective (c'est flagrant ici), religieuse et sociale des emprisonnéEs. Comment peut-on demander à une personne qui a tant supporter, de condamner son acte libérateur ? La Justice ne connaît donc pas la psychanalyse freudienne, les mythologies grecques puis romaines, l'antique mystique hébraïque ? Michel FOUCAULT et d'autre penseurs de la Folie ont montré depuis longtemps que la Prison ne créait que cela ou... la mort !
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