3 Avril 2017
Cette question, elle m’épuise encore plus que celle du chauffeur Uber de ce matin (« Comment faites-vous pour défendre un violeur, un meurtrier, et s’il vous dit qu’il a fait le coup mais qu’il vous demande de plaider l’acquittement…zzzzzzz »).
Au moins le chauffeur Uber, il n’a pas bac+6 ou 7 en droit, on comprend qu’il s’interroge sur ce qui ne pose plus question depuis longtemps à ceux qui ont embrassé la carrière judiciaire.
Mais quand un magistrat, qu’il soit du siège ou du Parquet, demande à mon client pourquoi il n’a pas fait appel s’il est tellement innocent qu’il le prétend aujourd’hui, je suis vite excédé.
D’abord, il devrait le savoir, ce n’est pas parce que l’on n’est pas content d’une décision que l’on en fait nécessairement appel.
Avant de décider de faire appel, il faut envisager les chances que l’on a d’obtenir mieux qu’en première instance.
Et qui d’autre qu’un avocat pour tenter d’évaluer cela ?
Donc, quand un magistrat pose cette question à un client, soit il feint d’ignorer que c’est l’avocat qui a pris la décision en réalité, soit il ne le sait pas et c’est encore plus inquiétant concernant le degré de contact entre les pieds dudit magistrat et le monde dans lequel il officie.
Ainsi, quand on sait que l’on n’a aucune chance d’obtenir mieux parce que le magistrat qui siège en appel est un boucher qui fait tout depuis sa prise de fonction pour que tout le monde considère et colporte le fait qu’il est un boucher, on ne fait pas appel. Et la question de savoir si on est réellement innocent ne se pose même pas. Non plus que celle de savoir si on pense que la peine prononcée a été trop sévère. Car l’on sait qu’on va se faire exécuter en appel quoiqu’il arrive.
Autre élément à prendre en compte, dont les magistrats qui posent ce genre de question sont à des années-lumière d’avoir conscience semble-t-il, le coût de la procédure. Oui, un justiciable peut faire le sacrifice financier idoine devant la Tribunal pour présenter sa défense et essayer d’obtenir la relaxe qu’il considère légitime, non il ne peut plus le faire en appel lorsqu’il a été condamné à une peine légère et que le gain espéré en appel n’est pas suffisant pour justifier cette nouvelle dépense.
Et enfin non, Mesdames et Messieurs les juges qui pensez qu’un innocent condamné doit nécessairement faire appel-sinon-ça-veut-dire-qu’il-n’est-pas-si-innocent-que-ça, les justiciables n’ont pas confiance dans votre Justice.
Si bien que nombre d’entre eux, qui se savent innocents, ou pensent devoir être condamnés moins sévèrement qu’ils l’ont été ne tentent même pas le recours devant la Cour d’appel, simplement parce qu’ils n’ont aucune confiance dans cette voie de recours et imaginent que les prochains juges n’auront sans doute pas à cœur de prendre le contre-pied de leurs collègues.
D’ailleurs, ceux qui s’y sont déjà risqué l’ont souvent regretté dès les premières minutes de l’examen de leur dossier en appel, lorsque le conseiller rapporteur leur a posé sur un ton de reproche une autre question qui mériterait un billet sur ce blog : « Mais pourquoi avez-vous fait appel Monsieur… ? »
Voilà pourquoi parfois, souvent, même des innocents ne font pas appel.