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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Quand la protection de l’Institution prime sur la manifestation de la vérité

Parfois je me demande à quel rang des préoccupations de certains magistrats figure la réelle et sincère recherche de la vérité…

Je défendais il y a quelques temps un client en comparution immédiate pour des faits de refus d’obtempérer, délit de fuite, etc.

Le seul élément contre mon client était la « reconnaissance formelle » par les enquêteurs.

En réalité cette reconnaissance n’intervenait en procédure qu’après que les enquêteurs avaient découvert la plaque d’immatriculation (la seule chose qu’ils avaient réellement pu voir du véhicule surpuissant appartenant à mon client depuis leur tacot de service…) du véhicule pris en chasse, et le nom du propriétaire qui l’accompagnait.

Easy de mettre un nom sur le fuyard, puis d’affirmer qu’ils l’avaient reconnu de visu.

Mon client expliquait qu’il avait prêté le véhicule à un ami pour un mariage, donnait le nom de l’ami, indiquait le lieu où celui-ci s’était rendu pour le week-end, etc.

Aucun acte d’enquête n’était fait pour retrouver ledit ami ni tenter de crédibiliser (ou au moins vérifier) les éléments innocentant mon client.

Au stade du jugement, je demandais un supplément d’information ; on avait exploité le téléphone de mon client pour des arguties, mais on avait curieusement oublié d’effectuer le bornage de celui-ci.

Les policiers ayant suivi le véhicule sur plusieurs kilomètres, j’expliquais à la juridiction qu’il serait facile (qu’il aurait été facile, surtout…) en bornant le téléphone portable de celui-ci de voir s’il avait suivi l’itinéraire décrit par les policier, itinéraire horodaté en procédure par ailleurs, ce qui signerait la présence de mon client dans le véhicule a minima.

Je complétais en rappelant que le véhicule possédait un GPS et que d’habitude dans ces procédures, le B.A.BA de l’enquête commandait de vérifier les déplacements effectués par le véhicule. Il aurait ainsi pu être vérifié si le véhicule s’était réellement rendu en région parisienne audit mariage tel que l’affirmait mon client.

Refus de mesures complémentaires. Condamnation du prévenu sur la foi des déclarations des policiers. 10 mois fermes avec mandat de dépôt. Quand la Justice ne doute de rien…

Que penser d’une telle décision ? Objectivement, à part démontrer une nouvelle fois que souvent l’institution judiciaire est d’abord préoccupée par l’idée de protéger l’institution judiciaire (ici les policiers, ailleurs tel magistrat instructeur ou parquetier…) que par celle de rendre une Justice fondée, motivée.

Que risquait le Tribunal à ordonner les mesures complémentaires que je sollicitais ? Pas de se lancer dans des frais délirants, la vérification du GPS prenant 3 minutes à un enquêteur et le bornage étant un acte d’enquête d’une banalité saisissante dans nos procédures.

Simplement, à ce jeu de quitte ou double, le risque était que le GPS révélât un voyage en région parisienne et que le bornage du téléphone de mon client qui n’était pas sur les lieux démontrât qu’il n’avait pas séjourné dans ce véhicule ce jour-là.

Dans lequel il avait pourtant été reconnu formellement par deux enquêteurs.

Qui se seraient trouvés parfaitement ridicules par cette démonstration de leur mauvaise foi. Pour ne pas dire plus, d’ailleurs (oh, pas d’inquiétude, ils n’auraient pas risqué la poursuite pour faux, on leur aurait tôt pardonné cette simple erreur – par deux enquêteurs différents dites-donc ! – dans la reconnaissance d’un même fantôme).

En appel, on nous infligea même la présence des deux fonctionnaires, qui la main sur le cœur vinrent à la barre redire leur reconnaissance formelle du prévenu, bien connu de leurs services, etc.

En réalité, cela ne faisait que renforcer l’obligation faite aux magistrats d’éviter à tout prix la confusion des deux fonctionnaires en prenant le risque d’ordonner un acte d’enquête qui les rendrait presque encore plus parjures.

Nouveaux refus, nouvelle condamnation.

Faut-il que notre Justice soit triste pour qu’un tribunal puisse se priver de 50% de chance de démontrer l’innocence d’un prévenu, uniquement pour préserver les 50% de chance que les enquêteurs fussent parfaitement intègres ?

 

 

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