16 Septembre 2019
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Après de longs atermoiements, la question des contaminations volontaires par le Sida, ainsi que de leurs « tentatives », semblait réglée pour de bon.
Les contaminations étaient réprimées au titre de l’administration de substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente.
Les « tentatives », c’est-à-dire les comportements à risque consistant à avoir des relations sexuelles alors qu’on se sait séropositif au moins, sans en avertir le partenaire, étaient condamnés au titre l’administration de substance nuisible avec ou sans ITT.
La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt en date du 5 mars 2019 (AJ pénal juin 2019, pp. 327-328) qui ne laisse d’étonner.
Elle affirme qu’ « en l’absence de contamination de la partie civile, l’élément matériel de l’infraction fait défaut ».
C’est l’article 222-15 du Code pénal qui réprime « l'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'autrui ».
Dès lors, il semble assez évident que cette qualification correspond parfaitement à la situation de « tentative de contamination », tant il semble évident que la révélation, après-coup, à la partie civile, de ce qu’elle a été exposée à un risque de contamination à ce virus que la science ne parvient toujours pas à vaincre, est de nature à porter atteinte à l’intégrité psychique.
Or, dans l’espèce critiquée ici, la Cour d’appel en a jugé autrement.
Ce qui est notable, c’est que dans cette affaire, il semble que la raison pour laquelle les juges du fond aient rendu cette décision de relaxe était motivée par le fait que le prévenu était soigné, suivait son traitement scrupuleusement et que sa charge virale était indétectable depuis 2001.
Or, des rapports médicaux sérieux indiquent qu’une personne séropositive dont la charge virale est indétectable est techniquement « non contaminante ».
La Cour d’appel a donc considéré que dans la mesure où la personne était non contaminante, il n’y avait pas de risque réel de contamination car la substance administrée (les fluides échangés lors des rapports sexuels) ne pouvait plus être considérée comme nuisible.
Cette décision, sous cette motivation, me semble pouvoir être saluée car elle respecte une logique pratique et juridique audible.
Le problème réside dans la formulation retenue par la Cour de cassation qui va beaucoup plus loin !
L’arrêt de principe qui est rendu là indique non pas que c’est le caractère inoffensif des fluides auxquels on expose son partenaire naïf qui empêche la constitution de l’infraction, mais l’absence de conséquence en terme de contamination de l’exposition.
On ne peut plus suivre ce raisonnement, car il ne peut être soutenu de mon point de vue que la personne qui est contaminante et qui expose autrui à une contamination en connaissance de cause, sans que ce risque se réalise, ne commet pas l’infraction d’administration de substance nuisible.
Il faut appliquer le même raisonnement que précédemment.
Le prévenu est informé de sa séropositivité. Sa charge virale, qu’il se soigne ou non, est détectable et il sait que potentiellement il peut contaminer ses partenaires.
Le texte n’exige pas qu’il y ait « contamination », « pollution », « maladie », « infection »… il réprime l’administration d’une substance nuisible, c’est-à-dire présentant un risque pour l’intégrité physique ou psychique d’autrui. Les fluides échangés lors d’un rapport non protégé ne sont-ils pas objectivement une substance présentant ces caractéristiques?
Non seulement l’élément matériel lié à l’administration de substance nuisible est caractérisé, mais encore les conséquences le sont-elles également : comment soutenir qu’une personne apprenant qu’elle a été exposée, souvent à de multiples reprises, à un risque de contamination par le Sida, n’en supporte par le contre-coup psychologique ? Cela ne constitue-t-il pas une atteinte évidente à son intégrité psychique telle que prévue par le texte précité ? Entretenir des rapports sexuels alors que l’on est séropositif, sans en avertir le partenaire, c’est ni plus ni moins que jouer à la roulette russe.
Qui soutiendrait qu’un homme, chargeant un barillet prévu pour recueillir 6 projectiles avec une seule balle, ferme le barillet, le fait tourner, pointe son arme sur le visage de sa compagne et appuie sur la détente, n’est pas coupable de violences simplement parce qu’ « en l’absence d’éjection de l’ogive et de dégâts physiques, l’infraction de violence n’est pas constituée » ?..
Cette décision participe d’une mouvance de discours étonnant, au vrai choquant sur ce qu’est le Sida, sur les conséquences que ce virus entraîne dans la vie de ses victimes.
Que l’opinion publique ait relâché son attention est déjà grave, qu’une émanation des pouvoirs publics, ici la Justice, relaie cela par une telle décision, est absolument dramatique, tant sur le plan juridique que sociétal.