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Le blog de Lee TAKHEDMIT

Blog de Maître Lee TAKHEDMIT, avocat pénaliste à PARIS, POITIERS, NIORT

Conséquences d’une incarcération: une responsabilité des deux côtés de la barre

Récemment à l’occasion d’une affaire de trafic de stupéfiants, je défendais une jeune femme qui, pour aider son compagnon incarcéré, avait eu la bêtise d’accepter de recevoir et de vendre de l’héroïne pour son compte. Sa carrière de trafiquante s’était arrêtée aussi vite qu’elle avait commencé puisque tout ce petit monde était sur écoute et, à peine un mois après son bien aimé, elle fut elle aussi placée en détention provisoire.

J’avais trouvé à l’époque ce placement en détention tout à fait disproportionné et inutile, puisqu’il s’agissait là d’une sorite de route isolée et unique, chez une mère de famille qui n’avait auparavant posé aucune difficulté. J’avais donc interjeté appel du placement en détention provisoire et devant la Chambre de l’instruction, je plaidais avec vigueur la remise en liberté de ma cliente. Celle-ci me fut refusée. Quelques trois mois plus tard, après un nouveau refus de la juge d’instruction et du Juge des libertés et de la détention, j’obtenais de la Chambre de l’instruction, composée différemment, qu’elle remît en liberté la jeune mère de famille.

Plus d’un an a passé lorsque nous nous présentons devant le Tribunal correctionnel.

Et je crois que c’est l’insistance avec laquelle la présidente d’audience appuie sur les responsabilités (oubliées) de la mère de ma cliente qui me fait penser rétrospectivement à cette chronologie.

En effet, la présidente rappelle à ma cliente à plusieurs reprises le traumatisme qu’a dû constituer son incarcération pour son fils de deux ans, les conséquences que cela peut avoir sur le long terme, etc.

C’est drôle, car quand la juge fait à ma cliente cette leçon de morale – tout à fait légitime au demeurant – je vois bien qu’elle est à mille lieues d’imaginer qu’une autre lecture de cette perte du sens des responsabilités peut être faite à l’occasion de cette affaire.

Et puisque la leçon a déjà été faite à ma cliente et que je n’ai plus à le faire lors de ma plaidoirie, j’utilise les quelques minutes qui me sont données pour présenter cette autre lecture.

Qui veut que si l’on peut se poser a posteriori  la question du traumatisme que l’incarcération d’une mère d’un enfant de deux ans représente, on peut aussi se demander si cette question doit effleurer qui de droit a priori.

En l’espèce, « qui de droit », c’est la chaîne de décision qui aboutit à une incarcération. C’est le Procureur de la République qui requiert un mandat de dépôt, c’est le Juge d’instruction qui est d’accord et qui saisit le Juge des libertés et de la détention, c’est le Juge de la détention lui-même qui incarcère, puis la chambre de l’instruction qui valide le placement en détention.

La responsabilité du traumatisme lié à l’incarcération du parent chez l’enfant, elle incombe aussi aux juges qui incarcèrent.

Ce qu’ils semblent découvrir lorsqu’on le leur explique. Et réfuter, la plupart du temps.

Pourtant dans cette affaire, le bilan après près de 18 mois de procédure et 4 mois d’incarcération provisoire, c’est que cette incarcération de ma cliente n’a servi strictement à rien, n’était en rien nécessaire, puisque comme souvent, le dossier se présente devant le Tribunal exactement de la même manière qu’il s’était présenté devant le Juge des libertés et de la détention lorsque la mère de famille avait été mise en examen.

Alors oui, bien sûr, dans ce dossier où elle était coupable, ma cliente était responsable de son sort, et du traumatisme que les conséquences de ses actes ont pu engendrer, notamment pour son fils.

Mais avec le recul, il me semble que si traumatisme il y a eu, le constat a posteriori de l’inutilité totale de cette détention provisoire me laisse à penser tout de même que la responsabilité de ce traumatisme est en quelque sorte partagée

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